La pression financière croissante épuise l'épargne des propriétaires

Le 29 mai 2024

Tania Bourassa-Ochoa
Tania Bourassa-Ochoa

Tania Bourassa-Ochoa – Économiste en chef adjointe

Tania Bourassa-Ochoa – Économiste en chef adjointe

Points saillants

  • Plusieurs indicateurs suggèrent qu’un nombre croissant de consommateurs hypothécaires font face à une pression financière significative.
  • Les réserves financières accumulées pendant la pandémie ont été épuisées. En fait, les ménages à faibles et moyens revenus puisent dans leurs économies pour arriver à joindre les deux bouts.
  • Nous prévoyons que les prêts hypothécaires en souffrance atteindront les niveaux d’avant la pandémie (0,25 %) d’ici la fin de l’année. Toutefois, un marché de l’emploi plus favorable en 2025 et des conditions de marché immobilier serrées devraient limiter cette augmentation.

Du point de vue de la stabilité financière, la capacité des propriétaires d'habitations à effectuer leurs paiements hypothécaires à temps est cruciale. C'est particulièrement vrai dans le contexte canadien, où plus de 75 % de la dette des ménages est attribuable aux prêts hypothécaires.

Les taux d’intérêt accrus, les coûts élevés des logements et la hausse du coût de la vie ont mis le budget mensuel des ménages canadiens fortement sous pression.

Ces pressions financières, combinées à la légère hausse du chômage, se sont récemment traduites par une hausse des prêts hypothécaires en souffrance. Un prêt est en souffrance si les paiements sont en retard depuis plus de 90 jours.

La part des prêts en souffrance continue de frôler des creux historiques (selon l’Association des banquiers canadiens, elle s’élevait à 0,19 % en février 2024 (PDF) ). Selon d’autres indicateurs avancés cependant, le bien-être financier des ménages canadiens serait plus menacé qu'il n'y paraît.

Parmi ces indicateurs se trouvent l’évolution des comportements en matière de crédit, le taux d’épargne négatif et la hausse des comptes en souffrance pour les cartes de crédit, les prêts automobiles et les marges de crédit. Ces indicateurs révèlent que les emprunteurs hypothécaires au Canada ne sont peut-être pas aussi solides financièrement qu’on le pense (tableau 1). 

En fait, la confiance des emprunteurs hypothécaires a également été touchée de façon négative. Selon l’Enquête 2024 auprès des emprunteurs hypothécaires de la SCHL, près d’un quart des répondants s'inquiètent de plus en plus de leur capacité à faire leurs paiements hypothécaires. La dégradation de ces indicateurs, jumelée à un marché de l’emploi plus souple en 2024, suggère que les prêts hypothécaires en souffrance atteindront les niveaux d’avant la pandémie d’ici la fin de l’année.

Alors que les niveaux d’endettement des ménages ont atteint un sommet historique, la fragilité financière des ménages endettés est devenue l’une de nos principales sources de préoccupation.

Les décideurs et le secteur financier surveillent de près les risques pour l’économie globale et la stabilité du système financier. En effet, un choc inattendu pourrait pousser un plus grand nombre de ménages en situation de défaut de paiement.

Tableau 1. Indicateurs de stress financier chez les emprunteurs hypothécaires
Indicateurs de pression financière hypothécaire Étapes de la pression financière Valeur de l’indicateur (% changement annuel)
Taux d’épargne Début 6,1 % - 2023 Q4 (Désépargne parmi les revenus faibles à moyens)
Confiance des consommateurs en matière d’hypothèque (part des répondants inquiets d’un risque de défaut) Début 50 % en 2024  (+X %)
Changements dans les comportements financiers et de crédit (Indice total de la dette par ménage) Intermédiaire 114 (2023 Q4) (+12)
Produits de dette à la consommation à l’exclusion des hypothèques et des lignes de crédit sur valeur domiciliaire Intermédiaire Cartes de crédit : 0,63 % (+12 bps) Prêts auto : 0,34 % (+3bps) Marges de crédit : 0,29 % (+9bps)
Prêts hypothécaires en souffrance (90 jours et plus) Avancé 0,19 % (+5bsp)
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Les prêts hypothécaires en souffrance ne montrentqu’une partie du tableau : les ménages éprouvent des difficultés financières depuis un certain temps

De manière générale, la proportion de prêts hypothécaires en souffrance est considérée comme le principal indicateur de stress financier des propriétaires d'habitations. Cependant, elle ne donne qu’un aperçu du tableau, car il s’agit d’un indicateur tardif.

Autrement dit, si un ménage n’a pas effectué ses paiements hypothécaires depuis plus de trois mois, il y a de fortes chances qu’il éprouve des difficultés financières depuis plus longtemps. Au Canada, les propriétaires d'habitations accordent souvent la priorité aux paiements hypothécaires par rapport au paiement d’autres dettes et aux dépenses non essentielles.

Par conséquent, au début d'une période de difficultés financières, la consommation tend à diminuer. Lorsque la pression financière augmente, les ménages peuvent puiser dans leur épargne ou emprunter davantage.

Si leur situation financière persiste ou s’aggrave, les consommateurs peuvent choisir de vendre une partie de leurs actifs pour rester à flot dans leurs paiements hypothécaires. Soumis à un stress financier prolongé, les propriétaires d'habitations pourraient épuiser leurs ressources financières. Il s'ensuivrait alors des défauts de paiements hypothécaires et des prêts hypothécaires en souffrance, ce qui les exposerait à un risque élevé de défaut.

Durant les trimestres précédents, nous avons constaté une hausse graduelle des prêts hypothécaires en souffrance par rapport à leurs niveaux historiquement bas. On compte maintenant plus de 12 600 prêts hypothécaires en souffrance depuis plus de 90 jours.

Figure 1. La forte hausse des taux de comptes en souffrance pour d’autres produits de crédit : un indicateur avancé des prêts hypothécaires en souffrance

Sources : Equifax, SCHL (calculs) et Association des banquiers canadiens (prêts hypothécaires en souffrance)

Version texte (Figure 1)

Figure 1. La forte hausse des taux de comptes en souffrance pour d’autres produits de crédit : un indicateur avancé des prêts hypothécaires en souffrance
Date Cartes de crédit Prêts auto Marges de crédit Prêts hypothécaires
2008 Q1 1,50 0,93 0,72 0,27
2008 Q4 1,48 1,19 0,77 0,33
2009 Q3 1,85 1,55 1,00 0,43
2010 Q2 1,86 1,56 1,08 0,42
2011 Q1 1,72 1,20 0,84 0,45
2011 Q4 1,71 1,19 0,78 0,38
2012 Q3 1,68 1,24 0,80 0,33
2013 Q2 1,60 1,34 0,77 0,31
2014 Q1 1,58 1,41 0,72 0,31
2014 Q4 1,51 1,43 0,64 0,29
2015 Q3 1,43 1,54 0,63 0,27
2016 Q2 1,57 1,86 0,66 0,28
2017 Q1 1,64 1,89 0,65 0,27
2017 Q4 1,51 1,73 0,61 0,24
2018 Q3 1,49 1,66 0,61 0,24
2019 Q2 1,59 1,88 0,64 0,24
2020 Q1 1,70 2,14 0,65 0,24
2020 Q4 1,18 1,70 0,55 0,23
2021 Q3 0,99 1,66 0,44 0,18
2022 Q2 1,20 1,88 0,41 0,14
2023 Q1 1,44 2,11 0,52 0,15
2023 Q4 1,56 2,09 0,72 0,18

Selon plusieurs indicateurs, la tendance à la hausse des prêts hypothécaires en souffrance se poursuivra

Le stress financier des ménages se reflète dans d’autres indicateurs plus révélateurs de la situation actuelle. Les indicateurs avancés suivants suggèrent que le fardeau financier des emprunteurs hypothécaires est plus lourd qu’il ne le semble à première vue.

  • Le coussin financier accumulé pendant la pandémie est épuisé : Les données récentes sur le crédit montrent que les emprunteurs hypothécaires qui sont plus susceptibles de déposer une demande de faillite1 ont augmenté leur dette en moyenne. De plus, l’édition du printemps 2024 du Rapport sur le secteur des prêts hypothécaires résidentiels révèle que le nombre d’emprunteurs pour qui la probabilité de faillite est élevée a également augmenté.
  • Utilisation croissante du crédit pour rembourser d’autres dettes : Une proportion grandissante d’emprunteurs ont un pointage de crédit faible et une probabilité accrue de faire faillite suggère qu’on cherche à emprunter davantage ou d’utiliser de plus en plus le crédit renouvelable (soit des cartes de crédit ou marge de crédit) pour payer leurs mensualités (figure 1).
  • Les ménages à revenu faible ou moyen utilisent leurs économies pour joindre les deux bouts : Au dernier trimestre de 2023, le taux d’épargne des ménages est demeuré stable, à 6,2 % en moyenne, après avoir chuté par rapport au sommet de 11 % atteint pendant la pandémie. Cependant, la répartition des ménages en fonction des niveaux de revenu montre des tendances assez différentes. Les ménages à revenu élevé ont enregistré un taux d'épargne net de plus de 12,6 %, tandis que ceux à faible revenu puisent dans leurs économies chaque mois. La hausse des coûts, surtout de ceux liés au logement et à d’autres biens et services essentiels, a dépassé la hausse des revenus pour les familles à faible revenu.2
  • Hausse des taux de comptes en souffrance pour les autres produits de crédit : Chez les emprunteurs hypothécaires, le nombre de paiements en souffrance a augmenté pour les prêts automobiles, les cartes de crédit, les marges de crédit et, plus récemment, les marges de crédit hypothécaire. C'est signe qu’une part croissante des utilisateurs de crédit éprouvent de la difficulté à rembourser leurs dettes. Les propriétaires accordent la priorité à leurs paiements hypothécaires et les hausses du pourcentage de prêts hypothécaires en souffrance ont été précédées par une augmentation des défauts de paiement pour d’autres produits de crédit.
  • Plus d’un quart des répondants à l’Enquête craignent de ne pas être en mesure de rembourser leur prêt hypothécaire : Par conséquent, beaucoup d’emprunteurs prennent des mesures pour réduire leurs dépenses, changent leur budget ou cherchent d’autres façons d’augmenter leur revenu. La majorité des emprunteurs ont ressenti le lourd fardeau de leur dette, mais seulement 14 % ont eu de la difficulté à faire leurs paiements hypothécaires.

Ces changements notables dans les comportements financiers, une tendance récente à la désépargne et une faible confiance chez les emprunteurs hypothécaires laissent entendre que de plus en plus de gens au Canada vivent d’un chèque de paie à l’autre et font preuve de créativité pour trouver des moyens de rester à flot.

De plus, près de 50 % des emprunteurs devront renouveler leur prêt hypothécaire cette année ou l’an prochain, à un taux plus élevé que leur taux actuel. Ce contexte sans précédent rend les emprunteurs hypothécaires encore plus vulnérables à tout changement dans leur emploi ou aux évènements de la vie susceptibles de nuire au revenu de leur ménage.

Figure 2. Les prêts hypothécaires en souffrance sont liés au chômage

Sources : Association des banquiers canadiens (prêts hypothécaires en souffrance) et Statistique Canada (Enquête sur la population active, février 2024)

Version texte (Figure 2)

Figure 2. Les prêts hypothécaires en souffrance sont liés au chômage
Date Taux de prêts en souffrance de l’Association des banquiers canadiens Taux de chômage
1990-01 0,18 % 7,9
1991-03 0,43 % 10,5
1992-05 0,58 % 10,9
1993-07 0,47 % 11,6
1994-09 0,49 % 10,1
1995-11 0,57 % 9,2
1997-01 0,65 % 9,5
1998-03 0,49 % 8,4
1999-05 0,50 % 7,9
2000-07 0,40 % 6,8
2001-09 0,43 % 7,2
2002-11 0,36 % 7,5
2004-01 0,34 % 7,3
2005-03 0,27 % 6,9
2006-05 0,24 % 6,2
2007-07 0,25 % 6
2008-09 0,29 % 6,3
2009-11 0,44 % 8,6
2011-01 0,45 % 7,8
2012-03 0,37 % 7,3
2013-05 0,31 % 7
2014-07 0,28 % 7,1
2015-09 0,27 % 7,1
2016-11 0,27 % 6,8
2018-01 0,24 % 5,9
2019-03 0,24 % 5,9
2020-05 0,26 % 14,1
2021-07 0,18 % 7,4
2022-09 0,14 % 5,1
2023-11 0,17 % 5,8

Les prêts hypothécaires en souffrance devraient augmenter, mais leur hausse sera limitée par l'amélioration des conditions sur le marché du travail en 2025

Historiquement, le chômage est le principal moteur de la hausse des prêts hypothécaires en souffrance (Figure 2). Récemment, le marché du travail canadien a montré des signes de ralentissement, le taux de chômage étant monté à 6,1 % en avril (par rapport à 5,1 % un an plus tôt).

Cette récente hausse des pertes d’emplois, conjuguée aux difficultés financières accrues des ménages, a récemment fait augmenter le nombre de propriétaires d'habitations en situation de défaut. Ces données mettent en évidence le lien direct entre emploi et logement pour les propriétaires endettés, surtout dans le contexte des niveaux d’endettement élevés.

Le chômage ayant continué d'augmenter légèrement en 2024, on peut s’attendre à ce que les prêts hypothécaires en souffrance poursuivent leur tendance à la hausse. Toutefois, leur hausse sera limitée par le resserrement du marché du travail qui est attendu à partir de l’an prochain.

En fait, comme nous prévoyons une baisse des taux d’intérêt, l’année 2025 devrait être caractérisée par un regain de l’activité économique.

Cet élan économique permettra de réduire les pertes d’emplois potentielles, qui autrement auraient pu faire augmenter les prêts hypothécaires en souffrance – surtout dans un contexte de vulnérabilité financière accrue des ménages.

La liquidité du marché de l’habitation pourrait aussi permettre aux familles en difficulté de vendre leur propriété sans se retrouver en défaut de paiement de leur prêt hypothécaire

Comme l’indiquent nos plus récentes prévisions sur le logement, la baisse des taux d’intérêt et la forte croissance démographique contribueront au resserrement du marché de la revente. Cette situation contribuera à soutenir la hausse des prix des habitations et limitera le temps nécessaire pour vendre une propriété sur le marché.

Pour les ménages qui ont du mal à joindre les deux bouts, la liquidité du marché pourrait faire de la vente de leur habitation une solution financièrement viable pour éviter un défaut de paiement de leur prêt hypothécaire. Par conséquent, la liquidité des marchés de l’habitation au Canada pourrait limiter la hausse des prêts hypothécaires en souffrance.

Des solutions existent pour les ménages qui ont de la difficulté à rembourser leurs dettes ou à joindre les deux bouts

Un nombre croissant de familles ont des difficultés financières en cette période d’incertitude économique. Nous ne pouvons donc pas négliger les nombreuses répercussions négatives sur les ménages, notamment les niveaux élevés de stress émotionnel.

Si vous peinez à rembourser vos dettes ou avez de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, vous  pourriez peut-être demander l’aide d’un conseiller en crédit. Cette personne pourra vous aider à trouver un éventail de solutions qui conviendront à votre situation.

Pour en savoir plus sur vos droits en tant que consommateur de services financiers, consultez les ressources proposées par l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Cette dernière offre des renseignements complets sur une gamme de sujets pour vous aider à prendre des décisions financières éclairées et efficaces.

Transcription

(Musique: fondu en ouverture)

(Visuel : Le logo du Gouvernement du Canada et le logo de la SCHL apparaissent ensemble. Une série d’images illustrant la construction des logements au Canada.)

(Visuel : Deux personnes sont représentées en conversation. Ils sont assis l'un en face de l'autre à une table de réunion. Les deux personnes sont Joelle Hamilton, Communications et marketing, SCHL, et Tania Bourassa-Ochoa, économiste en chef adjointe à la SCHL.)

00:00:06

JOELLE HAMILTON : Bonjour tout le monde et re-bienvenue à notre balado. La SCHL vient de publier son dernier rapport sur l’industrie des prêts hypothécaires résidentiels. Nous publions ce rapport deux fois par année parce qu’il nous donne une image claire de ce qui se passe avec les prêts hypothécaires résidentiels et montre comment les conditions économiques affectent les ménages canadiens.

Joelle Hamilton ici, et aujourd’hui, je suis accompagnée de Tania Bourassa-Ochoa, qui est une économiste en chef adjointe à la SCHL.

Bienvenue Tania!

00:00:38

TANIA BOURASSA-OCHOA : Merci Joelle.

00:00:39

JOELLE : Et merci encore d’avoir dit oui, d’être notre invitée aujourd’hui. Vous étiez ici il y a environ six mois pour parler du rapport de l’automne 2023 et moi j’ai hâte de voir ce qui a changé depuis. Pour commencer, est-ce que vous pourriez nous dire, comme un peu, à propos de vous, votre expérience de travail, ce qui vous passionne en tant qu’adjointe économiste?

00:01:06

TANIA : Mais oui, absolument. Donc, je me suis jointe à la SCHL il y a à peu près dix ans. Je me suis jointe comme analyste de marché, à l’époque je travaillais pour la région de Montréal et la région de Trois-Rivières, puis quelques années plus tard, j’ai eu l’opportunité de travailler sur une initiative, une immense initiative, super passionnante, qui était celle de combler des lacunes de données du côté du financement du logement.

Donc, ce que ça voulait dire en fait, c’est qu’on devait créer des questionnaires pour aller chercher des données, rendre des données existantes disponibles, et en fait le rapport sur les prêts hypothécaires résidentiels dont on parle aujourd’hui, c’est vraiment le résultat de toutes ces initiatives-là, donc, je trouve ça vraiment excitant.

Et puis en fait, ce qui me fait vraiment triper, si je peux dire ça comme ça en tant qu’économiste, c’est le fait qu’on fait parler les données, que ce soit des chiffres ou des données, on les fait parler et puis on est vraiment capables de raconter une histoire, raconter une histoire qui va permettre à des gens, à des entreprises ou encore au gouvernement de prendre des décisions qui sont peut-être plus éclairées.

00:02:19

JOELLE : Je vois vraiment votre passion quand vous parlez... c’est super le fun d’avoir quelqu’un qui est tellement passionné par son travail. Donc, lorsque vous étiez ici l’automne dernier, la dette des ménages et le taux de comptes en souffrance augmentaient pour des produits de crédit comme les cartes de crédit ou les prêts pour des automobiles, ça augmentait à cause de la forte hausse des taux d’intérêt.

Qu’est-ce qui a changé au cours des derniers six mois?

00:02:54

TANIA : Donc, en fait, depuis l’automne dernier, on est encore dans un contexte de taux d’intérêt qui est élevé, on a une croissance économique qui est quand même faible, la confiance des consommateurs, elle aussi est faible, et puis en fait, surtout quand on regarde la confiance des acheteurs potentiels.

Donc, tous ces facteurs-là ensemble font en sorte qu’on a vu la croissance de la dette hypothécaire ralentir. Ce n’est pas pour dire que la dette a diminué, mais elle a quand même ralenti, et en fait, la dette elle-même a continué d’augmenter. Et quand on regarde l’activité sur les marchés hypothécaires, c’est vraiment deux choses principales qu’on remarque, beaucoup de renouvellement, donc on en avait parlé l’an passé, c’est vraiment tous les gens qui doivent renouveler leurs prêts hypothécaires et donc à des taux d’intérêt plus élevés, mais aussi une hausse du côté des refinancements.

Donc, en fait, dans le contexte où le coût de la vie est plus élevé, les coûts de financement sont plus élevés, une des raisons principales pour ce refinancement-là, c’est la consolidation de la dette, plutôt que, par exemple, un gros projet. Donc, en fait, c’est vraiment quelque chose qu’on remarque également dans notre enquête de la SCHL sur les consommateurs hypothécaires. Donc, en fait, une autre constatation assez intéressante, c’est le fait que le nombre de transferts a diminué de beaucoup.

Par transferts, on veut dire les emprunteurs qui vont vraiment changer de banque ou d’institution financière au moment du renouvellement. Et puis en fait, ce que ça nous dit, c’est qu’il y a une crainte de l’emprunteur, de ne pas être en mesure de se qualifier avec, tu sais, le niveau de qualification et avec les critères, avec les taux d’intérêt qui sont plus élevés. Mais dans certains cas, il y a peut-être des gens qui ne seraient pas en mesure de se qualifier pour leur habitation elle-même, avec les nouveaux critères.

00:04:52

JOELLE : Avec 1,5 million de titulaires hypothécaires qui doivent renouveler en 2024 et 2025, les renouvellements hypothécaires sont toujours un sujet brûlant. Donc, moi je me pose une question. Combien de personnes ont renouvelé leur prêt hypothécaire l’année passée? Et aussi, combien ont-elles payé? Quelle stratégie utilisent-t-elles pour rendre le paiement plus abordable?

00:05:19

TANIA : Donc en fait, l’an passé, il y a approximativement plus d’un million de prêts hypothécaires qui ont été renouvelés, et ce, à des taux plus élevés. Donc, quand on regarde approximativement combien ça représente, on parle d’à peu près 30 à 40 % de plus pour le paiement mensuel hypothécaire. Par contre, on en avait parlé la dernière fois, mais les gens vont continuer à s’adapter et à trouver des stratégies pour permettre de réduire le plus possible le montant du paiement mensuel. D’une part, la période d’amortissement qui est choisie va souvent être plus longue. Ça nous permet à court terme de diminuer quelque peu notre paiement mensuel, ça nous aide en termes de cash-flow, mais c’est sûr qu’il faut comprendre qu’à long terme, on paye plus d’intérêts pour une plus longue période.

Mais aussi, le choix le plus populaire en 2023, c’est les taux fixes, mais trois ans, quatre ans, donc moins de cinq ans, les gens ne sont vraiment pas prêts à se commettre pour une période fixe de cinq ans avec des taux d’intérêt plus élevés, et ça nous laisse entendre aussi que les gens s’attendent à une baisse des taux d’intérêt, et ce, dans une période rapprochée.

00:06:40

JOELLE : Donc, dans le rapport de l’automne, on a constaté une augmentation des taux de comptes en souffrance pour les cartes de crédit, pour les prêts des automobiles, et puis ceci nous a montré que les Canadiens éprouvaient de la difficulté à payer leurs dettes.

Est-ce qu’on voit encore une augmentation de ces comptes en souffrance?

Est-ce qu’il y a un impact aussi sur les prêts hypothécaires?

Est-ce qu’il y a une augmentation des prêts hypothécaires en souffrance?

00:07:12

TANIA : Donc, effectivement, on avait vu cette augmentation du côté des prêts hypothécaires en souffrance, pour les autres produits de crédit : les cartes de crédit, les marges de crédit, les prêts auto, on voit qu’ils continuent à augmenter, mais là, ça s’est vraiment traduit du côté des prêts hypothécaires.

Donc, là, depuis quelques mois, voire trimestres, on voit une augmentation des taux d’arrérages hypothécaires. Par contre, les arrérages hypothécaires, c’est juste une partie de l’image, ça ne nous montre pas l’image au complet, parce que c’est un indicateur qui est retardé, si je peux le dire comme ça. En fait, qu’est-ce que je veux dire par là, c’est qu’une fois que le ménage tombe en arrérages hypothécaires, ça veut dire qu’il n’a pas été en mesure de faire le paiement pour une période de plus de 90 jours, eh bien, les chances sont que le ménage souffre de pressions financières depuis une beaucoup plus longue période que ça.

Habituellement, quand un ménage va vraiment faire face à ces pressions financières-là, au début, on va le voir plus du côté de la consommation, on va réduire la consommation, on va également réduire le niveau d’épargne, par contre, par exemple, par la suite, si cette pression financière continue à s’exercer, on va voir que le ménage peut peut-être aller creuser dans cette épargne-là, ou va même aller chercher d’autres dettes pour justement être en mesure de faire les paiements à la fin du mois.

Et c’est vraiment par la suite, si cette pression financière persiste, eh bien là, à ce moment-là, ça va peut-être se traduire en arrérages hypothécaires, ce qui met le ménage vraiment à risque de défaut finalement.

00:09:00

JOELLE : Et puis, on voit dans notre rapport que les prêts en souffrance hypothécaires sont plus élevés pour les hypothèques auprès des prêteurs alternatifs par rapport aux prêteurs traditionnels.

Pouvez-vous expliquer ce phénomène et puis les risques qui sont associés aux prêteurs alternatifs ?

00:09:23

TANIA : Oui, absolument. En fait, les prêteurs alternatifs, ça comprend les sociétés de placement hypothécaire, en anglais on les appelle les MIC, ou des prêteurs privés.

Certains prêteurs privés par exemple, c’est des prêteurs qui ne sont pas réglementés et qui vont offrir des produits hypothécaires qui sont quand même assez distinctifs et vont avoir une façon de souscrire le prêt qui est très différente que celle d’une banque, par exemple. La clientèle des prêteurs alternatifs, habituellement, on va voir des gens qui ne sont pas capables de se qualifier avec un prêteur traditionnel.

Ça peut être parce qu’ils ont un historique de crédit qui est plus ou moins bon, ça peut être parce qu’ils n’ont pas d’historique de crédit aussi, ça peut aussi être parce que malheureusement, il y a un événement de la vie là qui n’est pas le fun, qui arrive, comme la séparation, le divorce ou la maladie par exemple, mais il y a aussi des travailleurs autonomes qui vont faire partie de cette clientèle-là. Tout ça pour dire que cette clientèle a un profil qui est à la base plus risqué.

Donc, on n’est pas surpris de voir les taux d’arrérages soient plus élevés pour ce segment-là, que le marché traditionnel. Par contre, depuis un certain temps, on a vu les arrérages augmenter depuis une plus longue période de temps et de manière plus rapide. Et donc, on se pose effectivement la question si cette tendance-là va se poursuivre et si on va la voir se traduire dans le marché, dans le reste de l’industrie finalement.

00:11:00

JOELLE : Donc, on entend souvent parler que les Canadiens ont pu accumuler des économies substantielles pendant la pandémie, mais que ces économies semblent maintenant soit épuisées ou réduites. Quels sont les indicateurs qui nous montrent cela?

00:11:18

TANIA : En fait, c’est vraiment une bonne question parce qu’on a effectivement examiné une foulée d’indicateurs pour essayer de mesurer cette pression financière-là avant qu’elle arrive à un arrérage hypothécaire.

Et effectivement, une des choses qu’on voit à travers nos données de crédit, par exemple, c’est que ce coussin financier qui avait été accumulé pendant la pandémie, donc vous vous souviendrez, on avait plusieurs programmes au niveau des reports de paiements hypothécaires, le gouvernement avait offert des programmes de support de revenu pour les gens, les revenus ont augmenté de manière assez significative, le marché du travail était bon et donc les gens ont été en mesure de mettre de l’argent de côté et de se bâtir un petit coussin financier. Effectivement, nos données de crédit nous montrent vraiment que chez certains ménages, ce coussin financier-là s’est vraiment épuisé. Une autre chose qu’on voit aussi à travers ces données-là, c’est que certains ménages vont même avoir recours à la dette pour payer d’autres dettes.

Donc, c’est vraiment à travers certains indicateurs qu’on est en mesure de voir ces changements de comportements financiers qui nous laissent sous-entendre vraiment qu’il y a vraiment une pression financière qui s’exerce. Quand on regarde du côté de l’épargne nationale, en moyenne, on voit que le taux a diminué, mais on se retrouve approximativement autour de 6 %. Par contre, quand tu creuses la donnée, on voit que chez les ménages les moins nantis ou ceux qui ont des revenus plus bas jusqu’à des revenus moyens on dirait, il y a vraiment une désépargne.

Et ce qu’on veut dire par là, c’est que les gens non seulement n’épargnent plus, mais ont recours à leur épargne pour être capables d’arriver à la fin du mois. Une des choses que je trouvais également intéressante, c’est dans notre enquête de la SCHL sur les emprunteurs hypothécaires. On remarque qu’un emprunteur, en fait, un répondant sur quatre mentionne avoir des craintes par rapport à leur habileté à faire leurs paiements hypothécaires dans le futur.

Donc, ça nous donne vraiment un pouls de comment les gens se sentent par rapport à ça. J’ai également essayé de creuser d’autres indicateurs, peut-être plus alternatifs, on dirait, pour essayer de mesurer cette pression.

Il y a une enquête de Statistique Canada sur la sécurité alimentaire que je trouvais particulièrement intéressante et malheureusement, on remarque qu’un Canadien sur quatre, selon cette enquête-là, dit faire face à de l’insécurité alimentaire, et ce qu’on veut dire par insécurité alimentaire, c’est qu’on doit soit couper dans la qualité, dans la quantité de nourriture ou dans les deux, pour être capable d’arriver à la fin du mois.

Et donc, c’est vraiment... donc ça se traduit vraiment par cette pression dont je parlais, qui s’exerce sur nos ménages.

00:14:24

JOELLE : Et puis en entendant ça, il faut que je te pose cette question, est-ce que le pire est encore à venir ou est-ce qu’on l’a déjà vécu?

00:14:33

TANIA : En fait, ce qu’il faut comprendre, c’est que cette situation-là, ces indicateurs-là, nous laissent sous-entendre que les ménages et les emprunteurs hypothécaires sont beaucoup plus fragiles. Est-ce que ça va nécessairement se traduire en arrérages hypothécaires?

Pas nécessairement, mais ils sont beaucoup plus fragiles s’ils faisaient face à une perte d’emploi, justement, à un événement de la vie dont on parlait plus tôt. On s’attend quand même à ce que les taux d’arrérages hypothécaires continuent à augmenter. On l’a vu, le marché de l’emploi s’est détendu un peu, on a un petit peu plus de taux de chômage.

Donc, avec tout ce contexte-là, on s’attend que ça continue d’augmenter, mais ça va être limité quand même. D’une part, on s’attend à ce que 2025 nous amène un vent de fraîcheur en termes économiques, on s’attend un peu à un genre de reprise de momentum économique, ce qui devrait encourager la confiance des consommateurs et l’emploi également. Donc, ça devrait limiter de par ce fait-là. Mais également, on s’attend à ce que le prix des habitations demeure soutenu.

Donc, mes collègues vous en ont parlé, certes, les dernières fois, du côté de l’offre, on a une offre qui est très limitée et donc ça va vraiment permettre au prix de continuer de se soutenir au cours des années à venir. Et donc, pour un ménage qui fait face à de la pression financière de manière persistante, qui ne trouve pas de solution quelconque, peut toujours avoir recours à la vente de la propriété, dans un marché qui est quand même considéré liquide et qui peut lui permettre de vendre la propriété dans un délai quand même raisonnable.

00:16:23

JOELLE : Donc, Tania, en regardant vers l’avenir, quelles sont des stratégies, des ressources ou des mesures potentielles qui pourraient être prises pour atténuer les risques émergents?

00:16:37

TANIA : En fait, je pense que c’est important de savoir... tu sais aujourd’hui on a parlé beaucoup de chiffres, de données, mais derrière tous ces chiffres-là se cachent vraiment des gens, des familles qui vraiment ressentent cette pression financière qui peut se traduire en pression émotionnelle quand même assez forte.

En termes de stratégies, c’est sûr que les stratégies vont être très distinctes, tu sais ça va être très différent d’une personne, d’un ménage, à un autre. C’est sûr qu’il peut y avoir par contre différentes solutions. Il y a toujours la possibilité d’aller voir un conseiller en crédit par exemple, qui peut vraiment examiner la situation, la situation très spécifique, et vraiment ensuite conseiller en termes de différentes solutions. Mais sur notre site, on a également mis quelques liens qui pourraient vous aider à trouver différentes ressources.

00:17:32

JOELLE : Eh bien Tania, cela conclut notre balado aujourd’hui. Merci beaucoup d’être ici parmi nous.

00:18:00

TANIA : Merci Joelle.

00:18:02

JOELLE : Tu nous as donné beaucoup d’informations et beaucoup de choses, beaucoup de matière à réflexion, et moi j’ai hâte que tu reviennes dans six mois pour nous parler de comment les choses ont changé et ont évolué depuis le printemps.

Et merci à vous de nous avoir écoutées aujourd’hui. Vous trouverez dans la description ci-dessous un lien vers le rapport complet sur l’industrie hypothécaire résidentielle de la SCHL. Dites-nous ce que vous avez pensé de la discussion aujourd’hui et laissez-nous un commentaire sur cette vidéo. Et n’oubliez pas de vous abonner à notre chaîne YouTube pour découvrir d’autres conversations importantes ici sur notre balado.

À bientôt.

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Tania Bourassa-Ochoa
Économiste en chef adjointe

Économiste en finances et en habitation, Tania Bourassa-Ochoa a dirigé un portefeuille diversifié de projets de recherche visant à promouvoir la stabilité et l’abordabilité des marchés.

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Date de publication: 29 mai 2024